Perroquet, ChatGPT et le panache français

Posted on Feb 23, 2023

Un ministre et un perroquet

Le journal de référence du 20 février 2023

Je ne sais pas si vous l’avez vu passer, mais je vous conseille de lire cet article mise en ligne dans Le Monde.

Le ministre interviewé est Jean-Noël Barrot, ministre délégué au numérique du gouvernement actuel et l’interview porte sur des commentaires du ministre sur ChatGPT.

Avant de lire ce qui suit, je tiens à préciser que je n’ai pas accès aux verbatims de l’interview, il existe une probabilité non négligeable de déformation des propos (les rares fois où j’ai eu affaire à un journaliste, la moitié des retranscriptions voulaient dire l’inverse de mon propos). Cependant, en regardant cette interview du ministre, la probabilité se réduit.

Mais j’en reviens à l’article, car les propos sont très intéressants et en disent long sur l’état de la France, l’état de notre classe politique et nos challenges.

Perroquet

Alors que dit Monsieur le ministre ?

1/ “ChatGPT n’est qu’un perroquet approximatif”

On passe sur le choix de la citation pris par le journaliste pour créer un bon titre clickbait. Cependant l’expression exacte se retrouvant dans l’interview vidéo citée plus haut, le ministre a bien préparé cette punchline. On va tout de même relever l’arrogance du propos, le Ministre n’a pas dû beaucoup l’utiliser pour sortir une énormité pareille.

Un perroquet approximatif dont on peut contextualiser, cadrer ses réponses et l’amener à nous fournir la bonne information, sous la forme que l’on souhaite. Oui, les réponses ne sont pas sourcées, certaines fausses et d’autres imprécises. Les données d’entrainement du modèle s’arrêtant en 2021,les réponses peuvent être incomplètes. Mais quelle qualité dans la restitution, quelle qualité dans l’échange ! Ce qui est dingue, c’est de se dire que ce n’est que le début. A titre personnel, je développe maintenant avec un onglet sur chatGPT et qui a remplacé la recherche sur Stackoverflow dans beaucoup de cas.

Ce qui a été approximatif, en revanche, c’est la concentration du ministre soit lors du test de ChatGPT, soit lors de la lecture de la note de son conseiller. J’aurais préféré une plainte de se part ou un questionnement sur pourquoi notre industrie n’a pas de proposition de produit équivalent. En lieu et place de l’arrogance d’un politique qui sort un bon mot, j’aurai préféré un début de diagnostic sur notre incapacité à produire un tel produit en France (je parle de “produit”, pas de POC ou d’algo qui tourne dans un jupyter notebook).

2/ « des risques de discrimination, de manipulation et de déshumanisation […] donc il nous faut agir ».

Voilà. Le politique a à sa disposition les outils qui permet l’émergence d’une société capable de produire un produit équivalent : la fiscalité. Nous avons les écoles, les formations, les ingénieurs et les entreprises de la taille nécessaire. Le ministre aurait pu axer son propos sur une alerte ou la prise de conscience de notre retard.

Mais non, en France on va se concentrer sur ce qu’on sait le mieux faire : une loi, qui portera certainement le nom du ministre de tutelle - pour la postérité. Et bien évidemment, derrière, on produira une taxe, parce que les vilaines IA étrangères volent le travail des Français.

C’en est désespérant en fait. Les politiques français, de tous bords, n’ont qu’un seul discours : protéger, protéger et protéger. Infantisisant et populiste.

Je ne dis pas que ces modèles d’IA sont parfait, mais, pour reprendre les mots du ministre, les risques de discrimination, de manipulation et déshumanisation existent déjà avec la télé, la presse écrite et tout ce qui nous entoure. Même l’article citant les propos du ministre est à prendre avec des pincettes !

Tiens faites un test, allez dans une FNAC. 20€ que vous trouverez un comptoir d’un mètre linaire sur l’ésotérisme, des livres au rayon médecine qui expliquent que pour soigner un cancer il vaut mieux boire des jus de fruit. Et je vous file 100€ si vous trouvez un auteur liberal (un vrai - disons Bastiat ou Hayek) au rayon politique.

Vous voulez vraiment lutter contre la manipulation ? Mettez le paquet sur l’éducation et le développement de l’esprit critique. C’est vrai pour l’utilisation d’outils comme ChatGPT mais c’est vrai aussi pour un blog de platiste.

3/ “la formation de 400 000 experts du numérique d’ici [à] 2030 […] pour que la France ne passe pas à côté de cette nouvelle vague”

La France est déjà passée à côté de cette “nouvelle vague”.

Elle a déjà comme elle a déjà (presque) raté celle du cloud, des drones armés, ou le nucléaire de nouvelle génération.

Pour le cloud je dis “presque” car avec les fiascos “state sponsored à 500M€” Numergy et CloudWatt, ce sont les acteurs privés qui luttent et tirent leur épingle du jeu : Ovh, Scaleway, Clever, Outscale, …

Reste l’informatique quantique, mais les moyens financiers colossaux nécessaires font que ce sera difficile.

Je reviens sur la formation des 400 000 experts du numérique. Qu’est ce que nous pouvons faire de mieux ? On forme déjà des ingénieurs et des chercheurs de talents. Mais les meilleurs partent à l’étranger : meilleurs projets, meilleurs salaires. Et ce ne sont pas des formations du type “devenez data scientist en 6 mois” dont on a besoin en 2023 (no worries, les organismes de formation pro se frottent déjà les mains). C’est il y a 15 ans qu’il fallait lancer un mouvement comme ça.

4/ “Les entreprises du numérique doivent pouvoir « recruter dans les meilleures conditions »”

Ah bon ? Ce n’est pas déjà le cas ? Vous voulez aider les entreprises du numériques ?

On ne peut pas sortir de terre les milliers d’ingénieurs qui nous manquent, alors je vois 3 leviers : les salaires pour retenir les meilleurs, faire venir du monde, et le discours.

Comment augmenter les salaires ? Baissez les charges : à cout équivalent (le super brut), nous pourrons mieux rémunérer. Nous pourrons nous battre presque à armes égales pour que les meilleurs restent.

Simplifiez les procédures d’introduction de personnel étranger qualifié : faut avoir été à la préfecture de Nanterre ou avoir parlé à quelqu’un de la Direccte au moins une fois dans sa vie pour comprendre. Ça prend un temps de fou, de l’énergie, rien n’est clair, et une grosse incertitude existe. [Pour la petite histoire, nous avions recruté un dev impressionnant venant de Madagascar, premier entretien en avril 2018, arrivée sur le territoire français en juillet 2019. On a peut être joué de malchance - ou d’incompétence de notre côté, car impossible d’avoir des infos claires de la part de l’administration. Le plus drôle c’est que nous avons reçu le montant de la taxe de l’OFFI à payer en 2021]

Et sur le discours, je prends appui sur la fin de l’article, avec un beau retour de l’arrogance française :

« Open AI, l’entreprise d’intelligence artificielle à l’origine de ChatGPT, aurait toutefois « mieux fait d’attendre d’avoir des filtres » permettant de déceler l’utilisation de son logiciel « avant de le publier », a-t-il regretté. »

Au lieu de se mettre dans une position de donneur de leçon, le ministre aurait mieux fait de déplorer notre retard dans le domaine. Nous vivons dans l’ombre de notre passé et des innovations que nous avons produits. Il y a quelques années, l’état avait diffusé un film “promotionnel” de notre industrie (vers 2018). A l’affiche : le TGV, le Concorde, des centrales nucléaires & le Rafale. Que de gloires passées, j’avais un pin’s du Rafale blanc de demo en 1988, la dernière centrale française date de 2002, qui est la date du retrait du Concorde et le TGV… bref vous avez compris.

Les propos de Jean-Noël Barrot me rappellent ceux d’un ami, qui m’a vu après avoir fini mon premier marathon -1 an après mon arrêt de fumer- et qui m’a laché, une bière à la main et une clope au bec : “Ouais, le marathon, c’est que de l’entraînement et je pourrais le faire mais comme c’est chiant, j’en ferai pas. Mais t’aurais pu quand même faire 20 minutes de mieux”.

Quand je vois ce type d’article et que dans le même temps, nos politiques se félicitent en grandes pompes de l’ouverture d’une ligne de train de nuit… Je rêve d’un état, “d’élites” qui actent sur notre déclassement dans tous les domaines de demain et insufflent un souffle accompagné d’actes.